Nocturnes malgaches


Franck Rémy

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Il y avait ce petit bar dans mon quartier de Fianarantsoa, une des annexes du célèbre « Marie Zoze », une institution dans la ville, un endroit que les gens qualifiaient souvent de « bordel », ce mot faisant référence selon les uns au côté glauque et mal fréquenté du lieu, ou bien selon les autres aux « chambres » situées à l’étage. Je me suis mis à y traîner, non pas pour les chambres, mais pour la « faune » hétéroclite que l’on y rencontrait : à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, quel que soit le jour de l’année, je trouvais dans cet endroit des gens venus faire la fête, s’assommer à l’alcool, conspirer autour de quelques brochettes de zébus, tromper leur légitime ; d’autres étaient là simplement pour être au chaud en attendant le matin, sommeillant sur une chaise devant un écran de télé qui diffusait à plein volume les derniers clips malgaches à la mode.
Dans la pénombre propice à l’incognito, à l’abri des jugements bien pensants de la société malgache et loin du clinquant des noctambules expatriés, le « vazaha » que je suis faisait souvent une entrée très remarquée… Mais il suffisait généralement de peu de temps pour que l’étonnement disparaisse des regards et que les discussions reprennent autour de moi ; au bout de quelques minutes, je n’avais alors qu’à offrir un verre de rhum malgache ou l’une de ces cigarettes vendues à l’unité pour briser la glace… et utiliser mon appareil photo. Je pouvais alors photographier une fille venue me proposer ses services, un enfant des rues attiré par la lumière et la musique, ou encore un de mes voisins de quartier que je recroisais le lendemain matin, travaillant dans sa petite boutique et me saluant d’un sourire complice.
Lorsque je n’y allais pas vider une pellicule en solitaire, c’était avec des compagnons de nuit : les trois frères et leur neveu accordéoniste du groupe ZMG, qui immanquablement sortaient une guitare et se mettaient à chanter leur musique propre à cette région des hauts plateaux betsileo ; ou encore mon amie Hary, que je ne me lassais pas de photographier sous le regard tout à la fois méfiant et bienveillant de son mari.
Que ce soit avec ces derniers à Fianarantsoa, dans la capitale avec les deux employés de maison de mon ami peintre Jean-Yves Chen, ou encore à Tulear avec « Jean-Claude », ce tireur de pousse-pousse que je retrouvais à chacune de mes visites dans cette ville du sud-ouest, j’ai aimé ces ambiances nocturnes, loin de la lumière du jour, alors que tout était possible, dans la joie comme dans les peines.


Franck Rémy



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