La moustiquaire


Harandane Dicko

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C’est à une pêche miraculeuse que se livre le photographe Harandane Dicko qui accroche sa moustiquaire un peu partout au gré du vent et de son inspiration, jusqu’à ce que quelques curieux viennent se prendre dans ses filets. Alors, sans plus d’explication aux questions qui tombent comme la pluie, le jeune Malien invite ceux qui le désirent à se glisser tels quels sous le rideau transparent de son petit chapiteau ambulant. Seuls ou en groupe, en tee-shirt et casquette ou en parures traditionnelles, enfants, jeunes ou vieux jouent le jeu et prennent place, qui avec son âne ou son mouton, qui sa marchandise sur la tête ou sa bicyclette à la main. Juste le temps d’une pose photographique durant laquelle, à la fois déstabilisé et désinhibé par ce voile qui le protège en partie du regard de l’autre, chacun redevient finalement lui-même sans avoir le temps d’endosser un rôle. Utilisant sa moustiquaire comme une poursuite de théâtre, Harandane Dicko isole ainsi les différents personnages de la rue et dresse petit à petit une galerie de portraits de la société malienne.
 
Dans cette démarche paradoxale qui propose de voiler pour mieux montrer, se joue aussi la volonté de l’artiste d’inviter chacun à reconsidérer l’autre, à porter sur lui un nouveau regard. La moustiquaire devenant alors la métaphore de ce voile des apparences dans lequel chacun reste drapé, le signe de la frontière infranchissable qui existe entre soi et les autres, le symbole du mystère insondable que reste l’altérité.
Mais malgré sa dimension ludique, on ne peut oublier que cette série d’images étonnantes, poétiques et plastiquement convaincantes, porte aussi en elle toute la charge symbolique de l’usage de la moustiquaire, protection indispensable contre le palu et contre la mort. Ainsi par-delà la beauté de l’image, pourrait-on voir un linceul dans cette gaze qui enveloppe deux pieds allongés. Voir les « génies de la nuit » dans ces lueurs d’une transparence fantomatique arrachées à l’obscurité.
 
« À travers ce travail, j’ai voulu attirer l’attention sur l’aspect fragile de la vie, commente Dicko, mais sous le voile, j’essaie aussi de capturer la réalité, ma réalité personnelle, de présenter mon autre monde à moi ». Au carrefour du jeu et de la performance, de la sculpture et de la mise en scène, en détournant un accessoire du quotidien à des fins artistiques, Dicko s’inscrit à la fois dans la lignée des plus célèbres portraitistes de son pays, et dans les réflexions de l’art le plus contemporain. Ouvert aux enseignements et aux champs d’expérimentations occidentaux, le jeune artiste entend aussi préserver son identité et son regard africains, conscient comme le rappelle un adage de ses ancêtres que « quel que soit le séjour d’un tronc d’arbre sous l’eau, il ne deviendra jamais caïman ».
 
Texte : Armelle Canitrot


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