A première vie


Thierry Boulgakoff

tu vois je reviens
mais je ne reste pas
pas encore
c'est juste une petite visite
de reconnaissance dit-on

Afrique ma mère
et la mère de nous tous
je viens juste effleurer
la rondeur de ton ventre
d'une caresse prodigue
et sur sa peau tendue
écouter ton tam tam
pour le confondre au mien

as time goes by Afrique
alors
à ma première vie
et à la tienne
bien en aval
dans le grand sablier



Avant d'arriver ici, en 1967, je vivais là-bas, en Afrique. Au regard de la petite course de ma vie et de celle, sur une autre échelle, de ma généalogie, je ne sais toujours pas d'où je suis. Alors, le sentiment du lichen, il m'a construit… Et la posture de l'étranger, je la connais si bien que je peux l'emporter partout avec le grand bonheur de toujours me sentir en transit. A présent, ma conscience se sent redevable de cette éducation inconsciente de "citoyen du monde"…
Juillet 2004. Mon ami Bruno Boudjelal me propose de l'accompagner pour parcourir une étape parmi celles de son projet "Goudrons", du nom donné aux routes africaines. Cette étape est sans doute la plus exigeante et surtout la plus longue. Dakar (Sénégal)- Tanger (Maroc). Nous avons pris l'avion jusqu'à Dakar et nous sommes "remonté" jusqu'à Tanger avec les transports "en commun". La cadence de ce voyage si infernale et les conditions de vie si éprouvantes imposent de faire ses bagages à l'envers. Oui, plutôt que d'espérer qu'un sac puisse contenir tout ce qui est indispensable, il est indispensable de ne le remplir que d'espérance, voire d'espoir. Alors, il vaut mieux contrarier sa main et son esprit avant même de partir en ne gardant que trois sortes de choses: l'outil photographique réduit à sa plus simple expression, le renoncement à tout ce qui paraît incontournable, et de la place pour l'eau.

Ici et maintenant, je vous présente trois objets audiovisuels fabriqués à partir de ce "voyage africain".


A première vie est une sorte de journal de voyage plutôt sensoriel, en forme d'hommage, de reconnaissance, de gratitude, bref de retour à la mère Enfance… Toutes les images sont prises avec un jouet… pour enfant… comme ceux avec lesquels j'ai pris mes premières photos, là-bas. Très peu sont véritablement cadrées. Elles constituent plutôt des "enregistrements émotifs", des pics d'électrocardiogramme stimulés par la joie de mes cinq sens et celle de ma mémoire… J'ai tenté de restituer tout cela en exprimant aussi les changements de rythme vécus, tantôt "essorage", tantôt "linge délicat"…


Temps de poses est une façon de photographier presque aux antipodes de celle de "à première vie". Elle fait beaucoup plus appel à la culture iconographique, tant dans la composition que dans l'harmonie des couleurs. Cette manière plutôt intellectuelle (froide?) permet de mieux rendre compte des effets du temps qui passe, surtout en milieu urbain. Je relève des "empreintes" topographiques et je les mets en relation dans une danse (le tango) qui ne vient pas au secours de leur vanité, bien au contraire…


Fils d'Europe n'est pas vraiment un travail photographique! Il constitue le tribut que, rituellement, à l'occasion de chaque représentation, je tiens à payer à la conscience politique. La musique de "L. comme beauté" sur la carte de l'Afrique coloniale en1914 aurait pu suffire… Mais j'aime enfoncer les clous! Alors j'ai rajouté ce texte (en fait le début d'une nouvelle) qui esquisse un lien et nous questionne sur la (notre?) responsabilité (vous savez, "pas nous pas nous") dans le drame qui se joue chaque jour entre les deux continents. Le titre ne signifie pas que les Africains sont les fils de l'Europe. Il n'interpelle pas non plus la cécité des fils d'Europe. J'ai trouvé qu'il ressemblait à une insulte, très appropriée… envers l'invraisemblable loi du 23 février 2005 visant à affirmer "le rôle positif de la colonisation".


Thierry Boulgakoff




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