La Sape au quotidien des Brazzavillois


Baudouin Mouanda

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La S.A.P.E, société des « ambianceurs » et des personnes élégantes, est un phénomène de mode, un véritable spectacle autour des tenues vestimentaires. C’est aussi le moment où une génération en rupture crée des spectacles populaires, en faisant attention aux couleurs, et en prenant pour nom la « SAPOLOGIE » au tournant du 21ème siècle. Ils sont nombreux ceux qui pensent que les années 60 ne sont pas mortes.
Chez les hommes tout comme chez les femmes « il faut faire plaisir au corps ». Pour les jeunes congolais qui connaissent l’histoire, parler de la sape, c’est faire référence à l’époque coloniale. Avec l’arrivée des Français au Congo, au début du 20ème siècle, naît le phénomène de l’élégance. Les ouvriers qui travaillaient pour les colons considéraient l’homme blanc comme supérieur pour son élégance et sa sophistication. En 1922, le premier congolais qui visita Paris, André Gérard Matsoua, s’habillait comme un vrai monsieur français et s’attirait une grande admiration auprès de ses compatriotes congolais qui lui attribuèrent le titre de premier grand sapeur de l’époque. Respecté parce qu’il sortait tout droit de Paris, et avec son style vestimentaire éclatant et impeccable, il apportait toutefois une touche d’humilité à son habillement : les jeunes en ont tiré une leçon. Aujourd’hui, chacun d’entre eux apporte son propre répertoire de gestes qui le distingue des autres. Ils poursuivent tous un grand rêve : pour les immigrés congolais en France, rentrer au pays mérite de bien se préparer pour être vu et faire valoir son séjour en France : « Paris est un grand gaillard », dit Eric, jeune sapeur étudiant en sociologie. Ils travaillent dur pour accumuler des vêtements de grande qualité et de grandes marques. Pour les autochtones, le rêve c’est de voyager à Paris et revenir à Brazzaville en tant qu’ambassadeur de la sape.

Je suis arrivé dimanche après midi à Bacongo, avenue André Gérard Matsoua. C’est un coin réputé pour les sapeurs. La chaleur est écrasante. Il fait 28° à l’ombre. Le sol réfléchit la lumière avec violence, les rues sont désertes et j’aperçois au bout de la ruelle des sapeurs. Je me retrouve dans un bar au milieu d’une grande pièce, c’est le spectacle : un grand bruit à la terrasse, la communauté locale des sapeurs est présente face aux parisiens venus de France comme chaque été, pour eux c’est l’occasion de vibrer avec les souvenirs de la France : bleu, blanc, rouge. Les couleurs, c’est l’attachement le plus remarquable qu’ils ont à faire valoir. Pour certains sapeurs, « celles-ci sont synonyme de paix ». La compétition est dure, le public (qu’on arrive à peine à compter) venu pour vivre le spectacle, crie. Sur la voie goudronnée, la circulation est gênée. Les sapeurs emboîtent le pas pour exhiber leur tenue. Assis sous une paillotte, au pied d’un manguier, d’autres attendent que le soleil n’éclate plus, à défaut de quoi la sueur mouillera son costume, …. à côté, un autre contre-attaque, avec sa tenue de marque, cousue sur mesure. A quelques pas de là, il y a l’église Saint-Pierre, les fidèles sont venus pour acclamer le Seigneur, des larmes aux yeux, embrassés par la joie, le regard parfois vide est tourné vers les sapeurs. Le public crie à tue-tête, c’est de l’humour, le spectacle est gratuit…

Baudouin Mouanda



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